Lettre ouverte des artistes

Monsieur le Président, ne mettez pas les jeunes artistes aux portes de l’école publique

3/9/20233 min read

Monsieur le Président de la République,


Nous sommes des artistes connus et des acteurs du monde de la culture. Pour certains d’entre nous, nous avons eu la chance de fréquenter des classes à double cursus qui nous ont permis de préparer notre baccalauréat en parallèle de nos études artistiques.
Aujourd’hui, notre pays s’apprête à fermer plus d’une dizaine de lycées. Parmi eux trois lycées
parisiens accueillant des élèves ayant un projet artistique : le lycée Brassaï, le lycée Brassens, le
lycée Lucas de Néhou. Comment expliquer à des jeunes gens de 15,16, 17 ans une telle décision ?
Une fois encore, la France a décidé de faire, des économies sur le dos de la jeunesse.


Et force est de constater que les formations artistiques devront faire des sacrifices lourds de
conséquences : vous privez de financement suffisant des écoles d’art et de design de renom
(Valenciennes et Duperré notamment), vous n’augmentez pas les budgets des Conservatoires
Régionaux tout en leur demandant de créer des classes préparatoires à l’enseignement supérieur.
La première conséquence de ces arbitrages est évidente : les étudiants voient leurs conditions de
travail se dégrader, leur projet professionnel s’éloigner. Vous augmentez le temps de transport,
brouillez la visibilité de ces études déjà peu connues, dégradez la vie étudiante des établissements1.
Nous, artistes et acteurs du monde de la culture, vous demandons de reconnaître le caractère
singulier de ces études et d’en tenir compte avant d’étioler davantage l’enseignement artistique.
Créé en 1993, trois ans après l’installation du Conservatoire National Supérieur de Musique et de
Danse de Paris à la Porte de Pantin dans le XIXème, le lycée Brassens avait pour vocation exclusive
d’accueillir de jeunes artistes d’horizons très divers, professionnels et amateurs de haut niveau. A
tous ces élèves, il offrait une scolarité publique en double-cursus dans des conditions d’accueil
adaptées : une petite structure indispensable à un suivi spécifique et une communauté éducative
solide.


En excluant la plupart des élèves issus de conservatoires de banlieue, le Rectorat a décidé de fermer, depuis 2016, 14 classes en double-cursus dans la seule Académie de Paris, pour n’en garder que 20 ouvertes. Ailleurs en région, les Conservatoires à Rayonnement Régional perdent l’un après l’autre l’aménagement de scolarité qu’ils avaient construit avec les lycées de proximité.
Comment justifier un discours sur la démocratisation culturelle si l’on refuse à des jeunes gens,
engagés dans une pratique artistique intensive, d’accéder aux mêmes enseignements publics que
leurs camarades du même âge, dans des conditions compatibles avec leur art, qu’ils viennent de
Paris ou de Seine-Saint-Denis ? Car enfin, c’est cette mixité, qu’elle soit géographique, sociale, de
pratiques, ou de niveaux, qui donnait toute sa vitalité au lycée Brassens.
La France s’enorgueillit de former d’excellents danseurs, musiciens, comédiens, artistes lyriques.
Ils ont pu bénéficier d’un modèle français qui a veillé à leur formation intellectuelle. Pour se tenir
devant vous, sur des planches, ils ont fourni, dès la préadolescence, des efforts colossaux : 3 à 5
heures de pratique quotidienne. Et avant de partager leurs univers créatifs, ils ont été des élèves
formés à la citoyenneté et à notre culture commune, celle dispensée par l’école de la République.
Nous en appelons, Monsieur le Président, à votre volonté politique qui, seule, peut mettre fin à ce
qui est un abandon. Fermer un lycée public et mettre ses élèves à la porte c’est un renoncement
grave aux valeurs de la République pour l’enseignement et, dans le cas du lycée Brassens, pour
l’enseignement artistique et la culture.


1 Rapport d'information n° 501 (2021-2022) de MM. Vincent ÉBLÉ et Didier RAMBAUD, fait au nom de la commission des
finances, déposé le 16 février 2022.